samedi 19 avril 2008

la poésie des amazighen

Longtemps marginalitée dans la littérature européenne

Claude Lefébure, chercheur au CNRS, est spécialistes des études sur le pastoralisme des populations berbérophones de l’Atlas central et la poésie des amazighen. Ce dossier est une contribution à un colloque tenu à Casablanca.

On s’ouvre mal en France aux musiques du Maroc. Nass el Ghiwane hier, les Gnawa aujourd’hui : voilà, ces deux décennies, la première héréditairement folk et la seconde accoucheuse de la world, voilà tout ce qui aura surnagé ; autrement dit, les artistes ou les styles programmés avec quelque constance, que des médias saluèrent, dont les enregistrements restent distribués... si bien qu’un bagage, du côté du public, a pu être acquis.

Bagage léger, certes, pour qui n’entend pas l’arabe dialectal de Nass el Ghiwane : hormis trois titres traduits par Tahar Ben Jelloun - sur une cinquantaine !-, l’âpre poésie du groupe n’a été rendue accessible en français qu’au travers des sous-titres d’un long-métrage marocain (Transes, d’Ahmed El Maaouni en 1981). Bagage inconsistant, même, au regard du pesant de souffrances et d’espérances que requiert une pleine adhésion aux rythmes en vérité thérapeutiques des Gnawa. Si l’on veut.

Mais enfin, dans ces deux cas, les bases existent pour un intérêt suivi, une écoute un tant soi peu avertie.

Concernant d’autres musiques marocaines, rien de tel ; pas même cela. La poésie chantée des populations berbérophones, en particulier, reste pour le grand public inconnue. Or ces populations, les Chleuhs du sud-ouest d’abord, ont ouvert en France le chemin de la migration marocaine de travail. Représentées dès avant la Grande Guerre, elles comptaient en 1930 pour les neuf dixièmes de cette main-d’oeuvre ; en 1960, après qu’avait augmenté la part des arabophones, pour les trois quarts. Alors, et comme s’emballait la demande, sont venus s’ajouter des Imazirhen de l’Atlas central, plus les Rifains que ne captaient pas en priorité la Belgique, les Pays-Bas, ou l’Allemagne.

De nos jours, une moitié des quelques 590.000 Marocains vivant en France est de culture berbère, à quoi il convient d’ajouter l’effectif de leurs congénères ayant changé de nationalité - disons une moitié, encore, des 68.200 ex-Marocains français par acquisition qu’avait dénombrés le recensement de mars 1990. Réserve étant faite de ces jeunes à qui leurs parents n’ont pas transmis la langue maternelle - la déperdition est bien moindre que pour les Kabyles et les Portugais, a révélé l’Insee -, on doit avoir dans l’hexagone 300.000 locuteurs des parlers berbères marocains. Au Maroc, faut-il le rappeler, la population compterait 40 % de berbérophones.

Cette base est large ; elle dépêche dans toute l’Europe des migrants qui trouvent en France leur principal réceptacle et atteignent là le troisième rang des communautés étrangères : approcher la culture berbère marocaine, et d’abord entendre une littérature populaire dont la partie la plus vivante est poésie chantée, écouter avant tout ce qui se dit de l’exil ouvrier... ce ne serait pas maladroit.

Claude Lefébure lematin.ma

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